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Giovanni Francesco Barbieri, dit il Guercino (Cento, 1591 - Bologne, 1666)

L’Amore Virtuoso ou Allégorie des Arts

Huile sur toile, 105,3 x 152 cm.

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PROVENANCE


Acquis en 1654 par Giovanni Donato Correggio (1609-1674), Venise, comme en témoigne la liste des « tableaux originaux » payés par Giovan Donato Coreggio lui-même (« Originali quadri pagati da me »), ainsi décrit : « Un quadro entrovi un Amorino nudo virtuoso ingenochiato sopra due libri con una testa di marmo, liuto e violino ; in mano un libro da cantar e poi scarpelli, martello e tavoletta perelli e subiotto ; opera delle più belle abbia fatto il signor Giovanni Francesco Barbieri detto Guercino costa d[ucati]. 75 et porto d[ucati] 3 in tutto d[ucati] 78 », le tableau figure en bonne place en 1674 dans l’inventaire après décès du commanditaire (L’inventario topografico del palazzo di San Cassiano [sur le Grand canal]) : « Un altro quadro con un fantolin che canta di musica di Guerzin da Cento con soaze intagliate negre e oro » et il est sans doute présent dans ce palais jusqu’au début du XVIIIe siècle (voir Barbara Guelfi (dir.), Il Libro dei conti del Guercino 1629-1666, Venise, 1997, p. 165, no 482 ; Linda Borean, La quadreria di Agostino e Giovan Donato Correggio nel collezionismo veneziano del Seicento, Udine, 2000, p. 117, 178, 203). Richard, 4e baron de Coleridge (1905-1984) ; vendu par ses descendants chez Sotheby’s, Londres, 6 juin 2006, lot 214 ; Londres, collection particulière.

BIBLIOGRAPHIE


- Nicholas Turner, (dir.)., Guercino, la scuola, la maniera. I disegni agli Uffizi, Florence, 2008, p. 82-83, sous le no. 40;
- Francesca Baldassari, “Ancora un Guercino ‘veneziano’: l’amore virtuoso per Giovanni Donato Correggio”, Nuovi Studi, 14, 2008, p. 141-143;
- Véronique Damian, Massimo Stanzione, Guercino, Hendrick de Somer et Fra'Galgario, Paris, Galerie Canesso, 2016, p 26-31.

DESCRIPTION


Le Livre de comptes de Guerchin commencé en 1629, source incontournable pour la redécouverte de l’œuvre de l’artiste, mentionne en date du 20 mai 1654, un paiement pour un sujet représentant l’Amor Virtuoso : « Dal Ill.mo Sig :r Gio Donato Correggio […] Si ne riceue per pagamento del Amor Virtuoso Ducatoni Cinquanta […] »1. Si cette rapide citation permettait difficilement d’identifier à coup sûr le tableau concerné, la publication de la « Nota del costo dei quadri …» (liste des prix des tableaux… ; 1646-1674) de la famille Correggio de Venise, et la description précise qui est donnée de notre composition ne laisse plus aucun doute depuis sa réapparition récente comme a pu le prouver Francesca Baldassari dans un article de 2008. Car dans les documents d’archives de la famille Correggio, soigneusement publiés par Linda Borean dans une étude exemplaire sur cette famille de collectionneurs de la seconde moitié du XVIIe siècle à Venise, cette composition est précisément décrite : un petit amour « virtuoso » nu tient une partition alors qu’il est entouré d’instruments de musique (flûte, lute, violon) et des attributs de la peinture (palette et pinceaux) et de la sculpture (ciseau, marteau et tête sculptée en marbre) sur un fond de rideau et de paysage2. Il est encore précisé qu’il s’agit de l’une des plus belles œuvres qu’ait réalisé le peintre de Cento, alors actif depuis deux ans à Bologne où il occupe la place de premier peintre depuis la mort de Guido Reni, en 1642. La figure de l’Amour virtuoso qui occupe le centre de la composition adopte un style classicisant : dans une position instable sur une pierre plate puisqu’il se trouve à même le sol3, appuyé sur la main droite, il élève de la main gauche un livret ouvert se détachant sur le bleu lapis-lazuli du ciel. Ce pigment précieux, d’une tonalité intense, signale encore l’importance de la commande qui sera suivie, une année plus tard, par une composition, toujours sur le thème de l’Amour, mais cette fois-ci une Allégorie de l’Amour fidèle et éternel (1655, Washington, National Gallery of Art), un tableau lui aussi réapparu à une date récente4.
Turner a proposé de voir peut-être dans une feuille à la sanguine (Uffizi, Gabinetto Disegni e Stampe) une première idée pour la figure du petit amour, bien que l’étude soit en sens inverse ; si le jeu des mains est différent, le haut du corps est très proche5.
La délicatesse de l’exécution qui ne cache pas les effets recherchés, ceux du lourd rideau cramoisi ou la juxtaposition du bleu lapis-lazuli et du rose de la lumière du couchant, les documents d’archives enfin, justifient que ce tableau retrouve aujourd’hui une place bien documentée dans la carrière de l’artiste et une autographie complète.
À qui s’adressait cet Amour vertueux des arts si ce n’est à son commanditaire même ? Giovan Donato Correggio (1608-1674), ainsi que, dans une moindre mesure, son frère Agostino (1604-1678), s’est tout particulièrement dédié à la formation d’une collection de peinture de son temps, ex novo, si célèbre qu’elle est longuement louée par Marco Boschini dans Carta del navegar pitoresco (1660)6. Son goût reflète le développement de la peinture à Venise dont Giovan Donato se fait un véritable promoteur, passant commande à Girolamo Forabosco (1605-1679), Bernardo Strozzi (1581-1644), ou encore au peintre autrichien Johan Anton Eismann (1604-1698) et Johann Carl Loth (1632-1698). C’est au Prete Genovese qu’il commande son portrait en Persée, aujourd’hui au musée Magnin de Dijon. Sa collection a l’ambition de représenter les différentes écoles italiennes de peinture, du Nord au Sud d’où ce rapport privilégié, entre 1654 et 1657, notamment avec Guerchin. Pourtant, en parcourant cet inventaire, on y rencontre aussi les noms des grands peintres du XVIe siècle comme Tintoret (1518-1594) ou Bassano, attestant d’une volonté de diversifier la collection, là encore avec une ouverture vers les autres centres puisque l’on y rencontre Bronzino (1503-1572) ou Salviati. La famille Correggio est originaire de Bergame ; ce sont des marchands venus s’installer à Venise au XVIe siècle. En 1646, ils obtiennent le titre de patricien et achètent alors un palais sur le Grand Canal à San Cassiano.
L’artiste de Cento, surnommé Guercino (le petit qui louche) à cause de son strabisme, eut une énorme production comme en témoigne son Livre de comptes et connut tous les succès. De la provinciale Cento, où il est formé par Benedetto Gennari père (1563-1610), il vient s’installer en 1617 à Bologne, sans doute incité par la renommée de Ludovic Carrache (1555-1619). Dès 1621, il se rend à Rome où il travaille pour Alessandro Ludovisi, rencontré à Bologne et devenu le pape Grégoire XV. Il décore le Casino Ludovisi et le palazzo Patrizi et il peint L’Enterrement et l’Assomption de sainte Pétronille pour Saint-Pierre (1623, Rome, Pinacoteca Capitolina). À la mort de Grégoire XV, il retourne à Cento, mais, en 1642, à cause de troubles militaires, il se réfugie à Bologne où il travaille jusqu’à la fin de sa vie en tant que chef de file de l’école bolonaise. Il est enterré dans l’église San Salvatore à Bologne, près de son frère et collaborateur, le peintre de natures mortes Paolo Antonio Barbieri (1603-1649).

Notes:
1- Barbara Guelfi (dir.), Il Libro dei conti del Guercino 1629-1666, Venise, 1997, p. 165, n° 482.
2- Linda Borean, La quadreria di Agostino e Giovan Donato Correggio nel collezionismo veneziano del Seicento, Udine, 2000, p. 117, 178 ; Linda Borean-Stefania Mason (dir.), Il collezionismo d’arte a Venezia. Il Seicento, Venise, 2011, p. 251-252.
3- Le petit Amour prend en effet appui sur deux pierres plates qui ont été interprétées par l’auteur de la note des achats de Giovan Donato Correggio comme étant des «livres ».
4- Francesca Baldassari, « L’Amore Fedele ed Eterno del Guercino », Nuovi Studi, 11, 2005, p. 265-268.
5- Voir Nicholas Turner (dir.), Guercino la scuola, la maniera. I disegni agli Uffizi, Florence, 2008, p. 82-83, sous le n° 40. Je remercie David M. Stone de me l’avoir signalé.
6- Marco Boschini, Carta del navegar pitoresco, Venise, [1660], éd. critique, Anna Pallucchini (dir.), Venise-Rome, 1966, p. 599-605.