Giulio Carpioni (1613 - Vicence 1678)
(Venise, 1613 - Vicence, 1678)
Iris demande à Hypnos d’envoyer Morphée chez AlcyonéHuile sur toile, 74 x 65 cm
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PROVENANCE
Milan, collection particulière.
BIBLIOGRAPHIE
Daniele D’Anza, « Su Giulio Carpioni : una nota, due dipinti e un dubbio », Arte Veneta, 67, 2010, p. 166.
DESCRIPTION
La scène représentée s’inspire des Métamorphoses d’Ovide (Livre XI, vers 573-673) et précède l’épisode du songe envoyé à Alcyoné dans lequel Morphée, sous les traits du roi Céyx – le mari d’Alcyoné –, lui apprend en rêve sa mort dans une tempête en mer. Car Junon, lassée des incessantes prières d’Alcyoné, avait pris la décision de lui faire connaître, par ce subterfuge, la vérité. C’est la raison pour laquelle elle envoie au dieu du sommeil, sa messagère Iris pour lui en faire la demande. Il s’agit du moment choisi par l’artiste : « Dès que la vierge Iris fut entrée, écartant de ses mains les Songes qui lui faisaient obstacle, l'éclat de sa robe illumina la demeure sacrée ; le dieu, avec une pesante lenteur, leva à peine les yeux, se laissant tomber, puis retomber encore, tandis que son menton chancelant heurtait le haut de sa poitrine. Il se secoue enfin et, appuyé́ sur le coude, cherche à savoir la raison de la venue d'Iris – car il l'a reconnue. Alors elle dit : “Sommeil, repos des êtres, Sommeil, toi, le plus doux des dieux, ô paix de l’âme, toi que fuit le souci, qui détends les corps fatigués par les durs métiers et leur rends des forces pour le travail, ordonne à des Songes, capables d'imiter, en les reproduisant exactement, la véritable apparence des choses, qu’ils aillent dans Trachine, la ville d’Hercule, apparaître à Alcyoné et que, prenant les traits du roi, ils le lui montrent sous l’aspect d’un naufragé. C’est Junon qui le commande”. Quand elle eut accompli sa mission, Iris s'éloigna ; car elle ne pouvait supporter plus longtemps l’effet des vapeurs de l’antre ; et, dès qu’elle sentit le sommeil s’insinuer dans ses membres, elle s’enfuit et s’en retourne par le chemin de l’arc qu’elle avait pris pour venir. »
Le lieu décrit l’habitat du dieu Sommeil « une caverne aux profondes retraites [...] » où les rayons du soleil ne pénètrent jamais et où le silence règne en maître. Le Sommeil est couché sur « un lit d’ébène », et « autour de lui, ça et là, sont étendus, ayant revêtu des apparences diverses, des Songes aussi nombreux que la moisson porte d’épis [...] », ceci pour expliquer cette assemblée, à première vue, étonnante et disparate.
Ce sujet, rarement traité par les peintres, fut au contraire pour Carpioni, l’un de ses sujets de prédilection. Notre composition, comme l’a déjà signalé Daniele D’Anza dans un article paru dans Arte Veneta (2010), correspond en tout point à une photo en noir et blanc de la Fondazione Zeri (n° 56931), où la composition est signalée de localisation inconnue et sans précisions de dimensions. Par rapport à d’autres versions de ce thème développées par l’artiste dans un format en longueur1, le format en hauteur, assez resserré, donne ici aux nombreux personnages qui peuplent la grotte d’Hypnos, une densité et une promiscuité bien réelles dans cet assoupissement général. Notre toile illustre l’imagination fertile de cet artiste
cultivé qui en partant du texte d’Ovide, mais sans doute aussi d’un auteur de son temps comme Vincenzo Cartari2, réussit à donner vie à une foultitude de représentations allégoriques, dont certaines restent encore bien mystérieuses3. L’ordonnancement de l’ensemble résulte sans doute d’une solide base de conception, où le dessin des figures, des visages, des mains, des attitudes, et aussi l’art des drapés, s’inspirent par leur solution formelle, des modèles classiques. Cette assemblée compacte est travaillée au moyen de beaux effets de lumière et de l’utilisation de couleurs pures – les bleus, les blancs et les jaunes safran – qui exaltent la représentation et la lecture de ce rare épisode mythologique. Daniele D’Anza, pour toutes ces particularités stylistiques, en situe l’exécution dans les années 1660, années pendant lesquelles Carpioni démontre ses qualités linéaires et puristes, tout en dépeignant un monde idéal, issu d’une Arcadie désormais perdue.
Né à Venise, Carpioni s’est transféré à Vicence en 1636 où il rencontre un grand succès avec cette veine classique de son style, héritée de son apprentissage auprès de Padovanino (1588- 1649), au tournant des années 1630. Cette orientation s’est développée grâce à l’étude approfondie du jeune Titien (1488/90-1576), celui des Bacchanales se trouvant à l’origine dans la collection d’Alfonse d’Este à Ferrare, puis à Rome jusqu’en 1638, date de leur départ pour l’Espagne (aujourd’hui Madrid, musée du Prado), sans oublier, dans ce même registre mais dans un esprit moins rieur, la connaissance des créations de son contemporain français Nicolas Poussin (1594-1665) vraisemblablement par la diffusion des estampes de Pietro Testa (1611- 1650).
Notes :
1-Venise, Ca’ Rezzonico – Museo del Settecento veneziano ; Vienne, Kunsthistorisches Museum ; Pommersfelden, Graf von Schönborn-Wiesentheid Kunstsammlung ; Yale University Art gallery.
2-Vincenzo Cartari, Le immagini de i Dei degli antichi nelle quali si contengono gl’idoli, i riti, le ceremonie ed altre cose appartenenti alla religione degli antichi, Padoue, 1603.
3-Une autre version de notre composition, de dimensions similaires (72 x 64 cm), mais avec un certain nombre de variantes (notamment pour le personnage allégorique féminin en haut à gauche qui ne comporte pas le serpent) se trouve actuellement dans une collection particulière et a été exposée à Rovigo en 2010. Voir R. Cevese, « Quattro dipinti sconosciuti di Giulio Carpioni », Arte Veneta, XXXII, 1978, p. 322-325 ; Tesori dalle dimore storiche del Veneto. Capolavori dal ‘400 al ‘700, cat. exp., Rovigo, Museo dei Grandi Fiumi, P.L. Fantelli (dir.), Padoue, 2010, n° 18, p. 124.