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Maestro S.B S.B

L’Idylle à la fontaine (Nature morte avec figure masculine et Nature morte avec figure féminine)

Huile sur toiles. cm. 118 x 160  

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  • EXPOSITIONS
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Fig. 1

Fig. 2

PROVENANCE


Naples, collection Vittorio Carità ; Naples, collection particulière.

BIBLIOGRAPHIE


-Ferdinando Bologna, in Natura in Posa, cat. exp., Bergame, galleria Lorenzelli, septembre – octobre 1968, sous le n° 45 (Giuseppe Recco et Francesco Gessi) ;
-Roberto Middione, « Giuseppe Recco », in La natura morta in Italia, 2 vol., Milan, II, 1989, p. 903 (Giuseppe Recco) ;
-Valeria Di Fratta, in Da Artemisia a Hackert. La collezione di un antiquario, cat. exp. Reggia di Caserta, 16 septembre-16 janvier 2020, p. 202, sous le n° 94.
 

DESCRIPTION


Ces deux magistrales compositions, conçues en pendant, jusque-là jamais reproduites et seulement citées dans la bibliographie qui s’y rapporte, sont ici montrées pour la première fois avec une toute nouvelle étude stylistique et attributive qui ne manque pas de complexité. En effet, elle doit prendre en compte aussi bien l’identification de l’exécutant des natures mortes que celle, comme nous le verrons, du peintre ou des peintres de figures avec lesquels il a collaboré.

Récemment réapparues, ces deux toiles sont de véritables chefs-d’œuvre dans le domaine de la nature morte. Deux jeunes gens se rencontrent autour d’une fontaine dont le mur extérieur, ainsi que le miroir de l’eau, courent d’un tableau à l’autre, à égale hauteur. Des bas-reliefs antiquisants décorent l’intérieur du muret sur lequel prend appui la jeune femme, penchée en avant pour répondre au jeune homme lui montrant ostensiblement la truite qu’il vient de pêcher. Le poisson étant l’emblème de l’eau, de la vie et de la fécondité, à nul n’échappe les lestes sous-entendus, d’autant qu’en retour, la jeune femme pointe son doigt vers une courge trompette, à la forme suggestive, elle aussi symbole d’abondance et de fécondité en raison de ses nombreux pépins. Les compositions changent de registre à mi-hauteur pour se déployer sur un arrière-plan de paysage boisé et de ciel bleu au milieu duquel, un pied de vigne se déploie de part et d’autre de chacun des tableaux, ce qui permet à l’auteur des natures mortes d’y faire pendre de belles grappes de raisin noir. L’idée d’exposer des fruits et des légumes le long du muret de la fontaine afin d’en exploiter le jeu de reflet à la surface de l’eau est rare, voire unique, dans la perfection du rendu de cet effet miroir. S’y échelonnent des fruits gorgés de soleil, éclatés, exhibant leur chair et leurs graines – la pastèque, le melon, les figues – et partout, sur les fruits et les légumes, des marques noires, signes du temps passé pour arriver à maturité.
Nos tableaux dialoguent entre eux par l’intermédiaire des figures en nous livrant un scenario malicieux et facile à lire. Sans doute prend-il sa source dans la littérature à teneur érotique, connue de tous, et qui a traversé les siècles depuis l’Antiquité. Au XVIIe siècle, L’Adone (1623) du poète napolitain Giambattista Marino (1569-1625) qui raconte, en un long poème en vers, l’histoire de Vénus et d’Adonis, a connu une grande fortune tout au long du siècle. Les vers licencieux du poème appartiennent à un filon de poésie érotique et obscène qui remonte aux Carmina Priapea, une suite de poèmes anonymes en latin. Ils ont pour sujet le dieu phallique Priape, et les textes dans leur ensemble connurent un grand succès à la Renaissance, et ce jusqu’à nos jours.
Cet étalage, à la fois si calibré et si spontané, pourrait nous laisser croire que nous sommes dans un jardin, complètement recréé pour l’occasion par l’artiste. Il a pour but de servir de cadre à cette saynète très explicite et qui pourrait se résumer par une des lois émises par Priape dans le Carmina Priapea : « quod meus hortus habet sumas inpune licebit / si dederis nobis quod tuos hortus habet » (Tu peux prendre impunément ce qui est dans mon jardin si tu nous donnes ce qu’il y a dans le tien)1.

L’existence d’un monogramme sur La Nature morte avec une figure féminine, en-dessous de la tomate, dont les deux lettres entrelacées, difficiles à déchiffrer, pourraient être « GR » or « CR » (nous émettons des réserves sur leur caractère autographe) avait dans un premier temps porté Ferdinando Bologna à proposer le nom de Giuseppe Recco pour la nature morte et celui du bolonais Francesco Gessi (1588-1649) pour les figures.
Récemment, Alberto Cottino a proposé de replacer ces œuvres dans un contexte romain en reconnaissant ici la main du Maestro S.B., connu aussi sous le nom de Pseudo Salini2. Les mesures imposantes de ces compositions sont, par ailleurs, typiques des dessus de porte romains. Le corpus du monogrammiste S.B. est de création récente. C’est en rejetant une attribution à Luca Forte de la belle nature morte alors dans la collection Lodi, que De Vito (1990) la rapproche de deux compositions (auparavant Milan, Galleria Canelli)3 pour arriver à la conclusion qu’il ne s’agissait pas d’un peintre napolitain mais bien d’un artiste « d’Italie centrale ». L’une de ces deux dernières compositions porte, sur un entablement, ce que l’on a interprété comme un monogramme en lettres majuscules « S.B.P. » et la date 16554. Une première synthèse sur ce monogrammiste S.B. a été faite par Cottino en 20035, ajoutant au corpus des œuvres auparavant attribuées à Tommaso Salini (ca. 1575-1625). Plus récemment, en 2005, Bocchi a consacré une étude assez complète à ce peintre encore énigmatique, sans doute un élève de Salini, qui est ainsi devenu un nouvel épigone de la nature morte caravagesque.
Mais plus que tout, le détail du panier de fruits est comme une signature de l’artiste, nous le retrouvons dans nombre de ses compositions à commencer par la composition avec Légumes, fruits, champignons, deux anatidés et une tête de cerf  (collection particulière)6. Et l’on pourrait multiplier à l’infini les reprises de motifs semblables dans ses différentes compositions : les agrumes par exemple que l’on retrouve sur l’une des deux compositions de l’Accademia Carrara de Bergame alors que dans l’autre composition de cette même institution italienne on retrouve le chou et la courgette verte derrière au second plan7.
La belle branche de mûres qui court sur le muret est, au contraire, un élément totalement nouveau dans son répertoire. Dans ces deux toiles, le Maestro S.B. donne la mesure de son talent en démontrant un très haut niveau de qualité rarement atteint dans ses autres compositions, sans doute expressions d’une commande importante.

Il faut, bien sûr, imaginer l’intervention d’un, ou dans le cas présent, de deux peintres pour les figures. La critique s’accorde pour les attribuer à des artistes ayant fréquenté l’école d’Andrea Sacchi (1599-1661), et rapproche la figure masculine de Luigi Garzi (1638-1712) alors que pour celle féminine, il reste encore à en découvrir l’auteur. Luigi Garzi, tout jeune enfant encore, a eu une première formation avec le peintre originaire d’Anvers Vincent Adriensen, dit le Manciola (1595-1675), puis ensuite auprès d’un autre flamand, le peintre de paysage Salomon Backereel (1602-1660), avant d’entrer chez Andrea Sacchi, vers l’âge de quinze ans où il restera jusqu’à ses vingt ans.
Le Maestro S.B., sans doute un artiste d’origine nordique dont l’activité est documentée grâce à des tableaux datés de 1635 à 1655, pourrait avoir travaillé un peu plus avant dans le temps. Et de fait, sa collaboration avec Luigi Garzi pourrait avoir eu lieu lorsque ce dernier venait de sortir de son apprentissage chez Sacchi, et bien que les témoignages picturaux pour ce peintre de figures soient rares dans cette décennie 1660-1670. Ses collaborations avec des peintres de natures mortes nordiques, tels que Karel von Vogelaer (1653-1695) ou Christian Berentz (1658-1722) sont bien documentées même si elles sont attestées un peu plus tard, au début des années 1680. Ici Garzi montre son assimilation du langage classicisant développé par son maître Sacchi, en particulier sa déjà très belle maîtrise de l’anatomie dans la réalisation du torse nu de ce jeune homme, de même que ce profil, à demi sur le ciel, les cheveux au vent, une typologie de visage chère à Garzi8.
Ces deux extraordinaires compositions, dont la réflectographie nous a montré des changements en cours d’exécution, notamment dans les fonds, apportent des deux nouveaux témoignages à la grande histoire de la nature morte romaine au XVIIe siècle.

Notes :
1- Carmina Priapea, V, nous remercions le professeur Giacomo Jori pour ces indications.
2- Le nom de cet artiste a été soutenu en premier, par Alberto Cottino, suivi par Ilaria Della Monica, Riccardo Lattuada (communications écrites) et Gianluca Bocchi (communication orale).
3- Giuseppe De Vito, « Un diverso avvio per il primo tempo della natura morta a Napoli », Ricerche sul `600 napoletano, 1990, p. 121.
4- Voir Claudia Salvi, in L’œil gourmand. Parcours dans la nature morte napolitaine du XVIIe siècle, cat. exp., Paris, galerie Canesso, Paris, 26 septembre – 27 octobre 2007, p. 76-77, figs 1, 2, 3.
5- Alberto Cottino, « La natura morta a Roma : il naturalismo caravaggesco », in La natura morta italiana tra Cinquecento al Settecento, Mina Gregori (dir.), cat. exp., Florence, Palazzo Strozzi, 26 juin – 12 octobre 2003, p. 124-126.
6- Gianluca Bocchi – Ulisse Bocchi, « Pseudo Salini o Maestro SB », in Pittori di natura morta a Roma. Artisti italiani 1630-1750, Viadana, 2005, p. 190, PS. 25.
7-Gianluca Bocchi-Ulisse Bocchi, Ibid. supra, 2005, p. 169, PS.5, PS.6.
8-Luigi Garzi 1638-1721. Pittore romano, Francesco Grisolia – Guendalina Serafinelli (dir.), Milan, 2018, voir en particulier dans cet ouvrage : Guendalina Serafinelli, « Echi e predominanze fiamminghe nella formazione e produzione di Luigi Garzi », p. 13-55 ; Francesco Gatta, « Luigi Garzi : nuova luce sul periodo giovanile e sulla prima maturità (1653-1676), p. 57-77.