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Francisco de Zurbaran (Fuente de Cantos 1598 - Madrid 1664)

(Fuente de Cantos, 1598 – Madrid, 1664)

La Vierge enfant endormie

Huile sur toile, 103 x 90 cm

  • PROVENANCE
  • BIBLIOGRAPHIE
  • EXPOSITIONS
  • DESCRIPTION

Fig. 1

Fig. 2

Fig. 3

Fig. 4

PROVENANCE


Acheté en France au milieu du XXe siècle.

BIBLIOGRAPHIE


- Odile Delenda, « Zurbarán después de su IV centenario (nuevos documentos, obras nuevas) », Archivo español de Arte, n° 293, 2001, p. 10-11, fig. 11 ;
- Enrique Valdivieso, La Pintura barroca sevillana, Séville, 2003, p. 271-272, pl. 248, note 183 [meilleure version connue] ;
- Odile Delenda, Francisco de Zurbarán, pintor, 1598-1664, Madrid, 2007, p. 123-125, repr. ;
- Odile Delenda, « La Virgen niña dormida », Miriam, n° 351, mai-août 2007, p. 103-104, fig. 6;
- Odile Delenda, « Sapientiae laus. Images de la Vierge enfant chez Zurbarán », Sedes Sapientiae, n° 100, 2007, p. 44, 47-48 ;
- Odile Delenda (avec la collaboration Almudena Ros de Barbero), Francisco de Zurbarán, 1598-1664. Catálogo razonado y crítico, vol. I, Madrid, 2009, n° 237, p. 654-656, repr;
- Odile Delenda, « La questione Zurbarán, un aggiornamento », in Zurbaran (1598 – 1664), Ignacio Cano, Gabriele Finaldi (dir.), cat. exp. Ferrare, Palazzo dei Diamanti, 14 septembre, 2013 - 6 janvier, 2014, p. 36-47, 42, 46, fig. 16; Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 28 janvier - 25 mai, 2014, p. 30-31, 40-41, fig. 12 ;
- Benito Navarrete, in Zurbaran (1598 – 1664), Ignacio Cano, Gabriele Finaldi (dir.), cat. exp. Ferrare, Palazzo dei Diamanti, 14 septembre, 2013 – 6 janvier, 2014, p. 168, sous le n°. 25; Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 28 janvier –25 mai, 2014, p. 140, sous le n° 26;
- Odile Delenda, “La Vierge enfant de Francisco de Zurbaran” dans Trois portraits par Simon Vouet, Pietro Martire Neri et Angelika Kauffmann, Tableaux bolonais, vénitiens et napolitains du XVIe et XVIIe, Paris, Galerie Canesso, 2014, p. 6-15;
- Odile Delenda, Zurbarán, A new perspective, cat. exp. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, 9 juin - 13 septembre 2015, n°. 56, p. 172-173 ; Dusseldorf, Museum Kunstpalast, 10 octobre 2015 – 31 janvier 2016 , p. 208-209, n° 71;
- Angel Aterido, « Le siècle d’Or. Naissance et essor du Bodegon en Espagne », in La nature morte espagnole, Angel Aterido (dir.), Bruxelles, Bozar, 23 février 27 Mai 2018, p. 70, cat. 15 ;
- Michael A. Brown, in Art & Empire. The Golden Age of Spain, Michael A. Brown (dir.), cat. exp., The San Diego Museum of Art, 18 mai 2 septembre 2019, p. 160-161, 175, cat. et fig. 92.

EXPOSITIONS


- Zurbarán, una nueva mirada , Odile Delenda – Mar Borobia, eds. Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, 9 juin – 13 septembre 2015 ; Dusseldorf, Museum Kunstpalast, 10 octobre 2015 – 31 janvier 2016;
- Del Pontormo a Murillo. Entre lo sagrado y lo profano, Mexico, Museo Nacional de San Carlos, 30 juin – 1 octobre, 2017 (sans catalogue);
- La nature morte espagnole, Bruxelles, Bozar, 23 février – 27 mai 2018 ;
- Art & Empire. The Golden Age of Spain, Michael A. Brown (dir.), The San Diego Museum of Art, 18 mai – 2 septembre 2019.
 

DESCRIPTION


Considéré à juste titre comme l’un des plus grands maîtres espagnols du Siècle d’Or, Francisco de Zurbarán est originaire d’Estrémadure où il naît en 1598. Pendant ses études à Séville (1614-1617), il côtoie Diego Velázquez (1599-1660) et Alonso Cano (1601-1667). Il commence sa carrière en 1618 à Llerena où il ouvre un atelier pour répondre aux demandes de sa province natale. Appelé dans la capitale andalouse dès 1626, il y exécute de grands chantiers pour diverses communautés religieuses désireuses de créer, ou de renouveler, leur décoration picturale. Il s’établit à Séville en 1629 comme peintre de la ville et reçoit pendant vingt-cinq ans des commandes considérables pour les églises et surtout les couvents de la plupart des ordres religieux (1) , devenant rapidement le peintre le plus prisé des couvents andalous. Sa scrupuleuse obéissance aux consignes imposées par le nouvel art religieux issu du concile de Trente, mais surtout son style ténébriste d’un réalisme saisissant, transcendé par une intense spiritualité, en font sans doute le représentant le plus significatif de l’art religieux espagnol du XVIIe siècle. Au cours de la décennie 1640-1650, son atelier fournit également d’importantes séries de toiles destinées au florissant marché des colonies américaines. À côté de ces grandes suites décoratives, Zurbarán va aborder, surtout à partir de 1645, des thèmes religieux plus intimistes d’une grâce sans mièvrerie qui démontrent la grande variété de son œuvre. Il s’intéresse à des sujets moins austères que les sévères portraits de moines en prière ou en extase qui ont fait sa réputation et crée avec succès des sujets plus aimables comme de jolies saintes aux somptueux costumes ; il se distingue aussi par d’émouvantes représentations de saintes enfances : celle de Jésus en très petit garçon ou encore la toute jeune Vierge Marie.
Dès l’origine des temps chrétiens, les trop brefs passages des textes canoniques concernant la Vierge n’ont pu satisfaire la curiosité touchante des croyants : la discrétion des Evangiles est très tôt complétée par des écrits apocryphes, toutefois certains d’entre eux furent condamnés en raison de leur imagination fertile. La liste définitive des textes authentiques, fixée par l’Eglise au concile de Carthage en 397, fut acceptée par les pères du concile de Trente (1545-1563)(2). Pour les pieux récits pouvant alimenter la piété populaire, l’Eglise fut conciliante ; ainsi le Proto-Evangile de Jacques (ca. 130-140) exerça-t-il une influence considérable sur la dévotion et l’iconographie de la Sainte Vierge. On y trouve notamment les circonstances de sa naissance et de sa présentation au Temple de Jérusalem par ses parents, Anne et Joachim. L’Evangile du Pseudo-Matthieu, remaniant au VIe siècle le Proto-Evangile de Jacques à l’usage des Occidentaux, complète l’histoire de la petite Marie au Temple. Les artistes pouvaient donc peindre la Vierge s’offrant elle-même au Seigneur à l’aube de sa vie consciente.
Zurbarán a souvent montré cette « Petite Fille » du Cantique des Cantiques (Ct 8, 8). Un délicieux tableau conservé dans la cathédrale de Jerez de la Frontera représente une Vierge enfant endormie (fig. 1). Nous présentons ici une nouvelle et très belle version autographe avec variantes de cette petite Vierge assoupie. On connaissait néanmoins une bonne réplique d’atelier de ce tableau récemment découvert, publiée en 1996 par A. Pérez Sánchez (Madrid, collection Banco Central Hispano; fig 2). D’un format presque carré et pratiquement identique à celui de la cathédrale de Jerez de la Frontera, notre tableau montre par rapport au précédent suffisamment de différences pour nous permettre d’affirmer qu’il s’agit d’une autre composition originale, probablement la première pensée du peintre pour un sujet qui connaîtra un vif succès. Si la pose et le vêtement de la fillette sont sensiblement les mêmes dans les deux œuvres, le manteau bleu sombre s’orne d’un galon doré sur l’ourlet dans l’exemplaire de Jerez que l’on ne retrouve pas sur notre version. En revanche, dans cette dernière, l’enfant est assise sur un gros coussin rouge foncé orné de pompons rouge et or, alors qu’à Jerez ce coussin est à peine visible. Sur la droite, les variantes sont plus nettes : fleurs plus ou moins ouvertes dans le bol de Chine, disposition de l’assiette d’étain sur la petite table, tiroir sur le côté gauche dans la version de Jerez et de face dans la présente toile.
Les écrivains de la Réforme catholique acceptèrent la jolie idée de la consécration de Marie à Dieu à l’âge de trois ans. Le père jésuite Pedro de Ribadeneyra, auteur au tout début du XVIIe siècle d’un très populaire Flos Sanctorum, reprend cette tradition en citant l’autorité de saint Jérôme et saint Ambroise (3) , tandis que Francesco Arias, autre jésuite espagnol, connu pour sa rigueur, propose dans son Traité de l’Imitation de Notre Dame une méditation de la petite Vierge recueillie au Temple (4) . Quant à sor María de Agreda (1602-1665), favorisée de visions sur la vie de Marie, elle livre le récit de ses toutes premières années et précise que « son oraison était continuelle. Le sommeil même ne l’interrompait pas, car l’entendement peut agir sans le secours des sens (5)», référence évidente au verset du Cantique des Cantiques : « Je dors mais mon cœur veille » (Ct 5, 2). La religieuse ajoute que le Très-Haut versait sur elle une lumière céleste, celle qui enveloppe la toute petite fille que Zurbarán peint ici endormie.
La belle fillette assoupie paraît directement sortie d’un des nombreux cantiques ou poèmes composés à Séville en l’honneur de la Vierge aux XVIe et XVIIe siècles : « Je suis une petite fille brune, plus belle que l’iris et la rose et la fleur de lys… », chante le poète Diego Cortés (6) . Seul, sans doute, à représenter la fillette dans un âge aussi tendre, Zurbarán la voit auréolée de séraphins embrasés d’amour divin. Marie prend ici la pose de la Vierge de l’Humilité, assise sur le sol et appuyant son visage sur sa main gauche, dans la pose traditionnelle que Cesare Ripa recommande pour la Méditation (7) . La représentation plastique de l’enfant cherche à conjuguer l’expression de la beauté parfaite et de l’humanité, le sublime et le familier. La toute petite fille endormie porte ici au plus haut degré la grâce propre à la petite enfance. Comme toujours dans ses compositions les plus réussies, Zurbarán sacralise une scène quotidienne avec une infinie poésie. Le charme de cet intérieur familier, où règnent la paix et le silence, touche profondément. L’enfant, vraie fillette assoupie pendant sa lecture, a ce physique très poupin que l’on retrouve dans d’autres peintures tardives de l’artiste. On peut imaginer que le vieux peintre a saisi les traits de la petite María Manuela, née en 1650 de sa troisième épouse Leonor de Tordera. Il ne s’agit pas d’un tableau ténébriste mais bien d’une scène nocturne. Le modelé très doux du visage vu de face et traité en pleine lumière, le coloris délicat et subtilement dégradé, ce rose-rouge intense que l’on rencontre parfois chez Zurbarán après 1650, ainsi que les plis très ronds de la robe trop longue, si caractéristique de l’artiste, militent en faveur d’une date tardive, vers 1655.
On sait que Zurbarán, comme la plupart des artistes qui lui sont contemporains, s’aidait pour ses compositions de gravures qu’il transcende en leur insufflant toujours une vitalité et une réalité extraordinaires. Pour réaliser cet émouvant sujet, le peintre a peut-être fait poser sa fille María Manuela, mais il s’est également inspiré d’un ou de plusieurs modèles, fournis par l’inépuisable fond d’estampes pieuses sorties de l’atelier des frères Wierix, graveurs et célèbres éditeurs de la ville d’Anvers, dont la vie plutôt dissolue ne les empêchait pas de travailler avec une clientèle presque exclusivement religieuse. Les contemporains de Zurbarán cultivaient les images et les métaphores : fruits du contexte chrétien, culturel ou littéraire de l’époque, les emblèmes étaient compris aisément par le public lettré. Le maître utilise sans doute ici une des illustrations d’une série de dix-huit emblèmes gravés vers 1585-1586 par Anton II Wierix pour représenter l’œuvre de Jésus Enfant dans le cœur du dévot (fig. 3)(8). Cette estampe très populaire sera reprise, inversée, par Hiéronymus Wierix, accompagnée cette fois du verset du Cantique des Cantiques : « Ego dormio et cor meum vigilat » (fig. 4) , qui confirme notre interprétation du tableau. L’Enfant Jésus et son Divin Cœur sont des dévotions nouvelles apparues au XVIe siècle et la diffusion de ces gravures prouve le succès des thèmes qui alliaient le charme de la petite enfance aux pieuses méditations.
Nous ignorons qui furent les commanditaires de Francisco de Zurbarán pour ces émouvantes petites filles en prière ou endormies dans une douce extase. Les religieuses des couvents espagnols, quel que soit leur ordre, révéraient les images saintes ou sculptées de l’Enfant Jésus (9), de saint Jean Baptiste enfant ou de petites Vierge enfant. Les confesseurs des pieuses moniales, souvent très cultivés, voyaient sans doute favorablement ces tendres dévotions, avant-goût de l’éternelle béatitude. Les peintures si touchantes que Zurbarán a su créer de l’enfance de la petite Marie au Temple pourraient provenir de cloîtres sévillans, dont les trésors furent dispersés par les troupes napoléoniennes en 1810.
Zurbarán excelle dans les représentations de ces Saintes Enfances. Infiniment délicate, notre Vierge enfant endormie est une œuvre intimiste, où la nature exactement observée est indissolublement liée au sentiment religieux. Père et grand-père attentif au charme ingénu de la petite enfance, le peintre a su saisir l’expression exquise et fugitive d’une toute jeune fillette endormie, rêvant aux anges. Mais le songe est prière comme le rappelle le livre refermé sur la menotte. Les joues bien roses jouent avec le ton presque rouge de la tunique toute simple à peine réveillée par quelques fines dentelles blanches au col et aux poignets. Le beau manteau bleu sombre enveloppe la silhouette de l’enfant en accentuant sa forme pyramidale. Quelques fleurs mariales – lys, innocence et pureté, rose et œillet, symbole d’amour pur et filial –, simplement disposées dans un bol de Chine posé sur une assiette d’étain aux beaux reflets, complètent le sens profond de cette délicieuse composition.
Odile Delenda, 30 novembre 2013

Notes:
1- Voir Odile Delenda (avec la collaboration d’Almudena Ros de Barbero), Zurbarán. Los conjuntos y el obrador, vol. II, Madrid, 2010.
2 - Daniel-Rops (dir.), Les Apocryphes du Nouveau Testament, Paris, 1952, p. 11.
3 - La Fleur des Saints, éd. française, Vailly-sur-Sauldre, 1984, t. XI, p. 359-364.
4- Éd. française, Rouen, 1630, p. 234.
5- Sor María de Jesús de Agreda, Mística Ciudad de Dios, 3 vol., 1re éd. Madrid, 1670; éd. espagnole, Madrid, 1970 ; éd. française « Résumé complet », chanoine V. Viala, Saint Cénéré, 1976, p. 46.
6- « Soy niña morena / Y soy más hermosa / Que lirio ni rosa / Ni flor de azucena », Diego Cortés, Madrid, 1592, cité par Francisco López Estrada, « Pintura y literatura : una consideración estética en torno de la Santa Casa de Nazaret de Zurbarán », Archivo Español de Arte, XXXIX, 1966, p. 34. Voir Jeannine Baticle, avec l’assistance d’Odile Delenda, Zurbarán, cat. exp., New York, Metropolitan Museum of Art et Paris, Musée du Louvre, 1987-1988, cat. nos. 47 et 60.
7- Cesare Ripa, Iconologia, overo Descrittione di diverse Imagini cavate dall’antichitá et de propria inventione trovate et dichiarate da Cesare Ripa... di nuovo revista e dal medesimo ampliata di 400 e più Imagini, Rome, 1603, p. 309.
8- Voir Odile Delenda, Zurbarán al Museu Nacional d’Art de Catalunya, cat. exp. Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya, 1998, p. 26-28 et 210-211.
9- Pour illustrer les Révélations de sainte Gertrude destinées aux religieuses, Diego Cosío utilise une gravure de l’Enfant Jésus endormi dans un coeur très proche des figs. 3 et 4 (Insinuación de la Divina Piedad, revelado a Santa Gertrudis, monja de la Orden de San Benito, Salamanque, 1603).