next prev

Attribué à Philothée François Duflos (Paris, vers 1710 - Lyon, 1748)

(Paris, vers 1710 – Lyon, 1748)

Vue de la façade orientale de l’Arc de Titus à Rome

Huile sur papier, 56,8 x 39,5 cm.  

  • PROVENANCE
  • BIBLIOGRAPHIE
  • EXPOSITIONS
  • DESCRIPTION

DESCRIPTION



L’Arc de Titus fut érigé à Rome sur la Via Sacra à la demande de l’empereur Domitien en 81. Il célèbre les victoires de son frère Titus durant la guerre de Judée entre 66 et 73, conclue par le sac de Jérusalem. L’inscription dédicatoire, parfaitement visible sur notre tableau, signifie ainsi : « Le sénat et le peuple romain pour le divin Titus Vespasien, Auguste, fils du divin Vespasien. » Le point de vue adopté permet d’apercevoir, à travers l’arche, les murs des jardins Farnèse, les trois colonnes du temple de Castor et Pollux et le campanile médiéval du palais sénatorial sur la colline du Capitole. L’échelle est simplement suggérée par le cavalier passant derrière l’arche, suivi d’un chien.
La physionomie actuelle de l’Arc de Titus est très différente de ce qu’elle était au XVIIIe siècle en raison des travaux menés à partir de 1822 par Giuseppe Valadier qui reconstitua l’entablement et les murs externes des deux piliers. Plusieurs représentations conservent la mémoire de l’édifice et de ses alentours avant ces modifications radicales. Or, les alentours immédiats nous intéressent particulièrement pour tenter de dater notre tableau puisque les maisons qui figurent sur la gauche et la droite de l’allée pavée qui conduit sous l’Arc de Titus disparurent au cours du XVIIIe siècle si l’on se réfère aux vues publiées à cette époque. La maison située à gauche figure en effet dans un petit tableau peint par Bernardo Bellotto (1722-1780)1 vers 1742-1744 selon un point de vue pratiquement identique à celui adopté ici, lui-même déjà utilisé par Gaspar van Wittel à plusieurs reprises2. On la retrouve également dans la Vue de l’Arc de Titus publiée par Piranèse en 17563. On la distingue encore à travers l’arche dans une autre vue du même auteur prise depuis l’autre côté de l’Arc de Titus. Mais elle semble pratiquement ruinée sur la planche dessinée par Jean Barbault publiée en 17614 et a entièrement disparu de la vue, certes idéalisée, publiée entre la fin des années 1740 et 1771 par Piranèse dans ses Vedute di Roma. Cette précision topographique nous invite à dater notre tableau de la première moitié du XVIIIe siècle, probablement au début des années 1740, comme sa facture le laissait présager. Reste à identifier son auteur.

La datation envisagée comme la facture, plus française que véritablement italienne, nous conduisent à proposer le nom de Philothée François Duflos. Si la date de sa naissance est encore inconnue, Duflos remporte le Grand Prix de l’Académie royale de peinture et de sculpture le 27 août 1729 avec Le Prophète Zacharie que Joas, Roi d’Israël, fait lapider dans le parvis du Temple (perdu). Quatre ans plus tard, ce succès lui vaut de partir étudier comme pensionnaire du roi à l’Académie de France à Rome au palais Mancini. S’il y entre le 20 novembre 1733 en même temps que Jean-Charles Frontier, il faut attendre plus d’un an, en février 1735, pour connaître l’opinion du directeur Nicolas Vleughels à son sujet : « Duflot ne manque pas de géni ; il dessine avec soin, a un assez beau pinceau ; il est bien né, il étudie et a bonne volonté d’apprendre5. » Son séjour officiel est surtout scandé par plusieurs copies d’après les maîtres, d’abord d’après une Nativité de Giovanni Lanfranco envoyée à Paris en septembre 17366, puis d’après La Bataille d’Alexandre contre Darius de Pierre de Cortone alors dans la collection du marquis Sacchetti7 expédiée en 17418, enfin d’après L’École d’Athènes de Raphaël en 1741-1742, arrivée à Paris en avril 17439. Ayant largement dépassée la durée impartie, il quitte l’Académie à la fin de 1742 après neuf années pleines de pensionnat mais est réintégré quelques semaines plus tard à la demande Jean-François de Troy qui souhaite encore lui confier une copie de La Dispute du Saint Sacrement de Raphaël10. « L’air de Rome lui [étant] devenu contraire », Duflos quitta finalement la Ville Éternelle en mars 1745 après un séjour de plus de onze années : « les maladies fréquentes dont il a été attaqué ne lui ont pas permis, par le conseil des médecins, de rester plus longtemps dans ce pays11. »
Si la correspondance officielle française ne mentionne que des travaux de copie durant son séjour à Rome, il s’essaya avec succès à la gravure. A Rome, il réalisa notamment une série d’eaux-fortes intitulées Diverse Vedute di Roma qu’il dédia au duc de Saint-Aignan, l’ambassadeur de France près le Saint-Siège12. Son talent lui permit aussi de graver neuf planches des Varie vedute di Roma publiées par Fausto Amidei en 1748 auxquelles collabora également Piranèse. Duflos développa ainsi un réel talent de védutiste qu’atteste sa caricature par Pier Leone Ghezzi en 1744 devant un tableau de paysage posé sur un chevalet13.

Établi à Lyon après son départ de Rome, Philothée François Duflos se vit commander des tableaux religieux comme Isaac portant le bois de son sacrifice peint pour l’église Sainte-Croix14 . Surtout, il poursuivit avec succès cette veine de paysagiste apprise à Rome comme en témoignent les trois seuls tableaux connus de sa main : une Vue du Forum avec l’Arc de triomphe de Septime Sévère, signée et datée 174515, un Paysage fluvial avec des ruines romaines, signé et daté 174516 et le Paysage fluvial avec le Panthéon, signé et daté 1746, qui appartint à la collection Stanislas II Auguste Poniatowski, roi de Pologne (1732-1798)17. Les ventes anciennes mentionnent encore d’autres paysages perdus comme ces « Deux agréables paysages avec des ruines, dans le goût de Bartholomé, peints par Duflos de Lion, ils sont sur toile. 11 pouces 9 lignes de haut, sur 19 pouces 6 lignes de large. »18 ou « Une Vue de la Vigne de Médicis à Rome, peinte par Duflos. Il porte un pied neuf pouces & demi sur dix pouces de hauteur. »19
La touche de notre tableau, à la fois assurée et précise, la lumière cristalline qui détache la pierre dans l’atmosphère du matin, le cavalier prestement campé nous semblent parfaitement comparables aux trois paysages assurés que nous connaissons de Duflos. Cette vue de l’Arc de Titus dut être réalisée durant le séjour romain de Duflos, la feuille employée possédant le format caractéristique de celles qu’utilisaient les pensionnaires du palais Mancini pour leurs exercices académiques. Elle vient ainsi enrichir le corpus encore étroit d’un paysagiste français méconnu qui, comme son camarade romain Jean-Baptiste Marie Pierre, et deux décennies avant Hubert Robert ou Jean Barbault, contribua à diffuser le goût français pour les ruines romaines.

Nicolas Lesur


Notes:
1- L’esquisse (huile sur toile ; H. 0,380 ; L. 0,280 m) est conservée à Bergame, Galleria dell'Accademia Carrara, inv. 58AC00149. Elle prépare une œuvre (huile sur toile ; H. 0,985 ; L. 0,750 m) conservée dans une collection privée en 2001 : voir Bozena Anna Kowalczyk et Monica da Cortà Fumei (dir.), catalogue de l’exposition Bernardo Bellotto (1722-1780), Venise, Museo Correr, 10 février – 27 juin 2001, Houston, The Museum of Fine Arts, 29 juillet – 21 octobre 2001, Milan, Electa, 2001, n° 23, p. 106, reproduit en couleurs p. 107, notice par Edgar Peters Bowron.
2-Giuliano Briganti, Gaspar van Wittel, Milan, Electa, 1996, p. 160-162, n°s 76-82.
3- Le Antichità Romane, I, Rome, Bouchard et Gravier, 1756, planche XXXIII, fig. I.
4- Les plus beaux monumens de la Rome ancienne, ou Recueil des plus beaux morceaux de l'antiquité romaine qui existent encore dessinés par M. Barbault peintre, ancien pensionnaire du Roy à Rome, et gravés en 128 planches avec leur explication, Rome, 1761, planche 17, p. 23.
5- Anatole de Montaiglon et Jules Guiffrey, Correspondance des directeurs de l'Académie de France à Rome avec les Surintendants des Bâtiments, publiée d'après les manuscrits des Archives nationales, t. IX, Paris, Charavay frères, 1899, p. 146. Ensuite abrégée : Corr. Rome.
6- Ibid., p. 273 et t. X, Paris, Charavay frères, 1900, p. 11. Il s’agit très vraisemblablement de L’Adoration des bergers peinte en 1631 pour Santa Maria della Concezione à Rome où elle est toujours conservée.
7- Aujourd’hui conservée à Rome, Musei Capitolini, Pinacoteca, Appartamento dei Conservatori, inv. PC 260.
8- Corr. Rome, IX, p. 435, 492-493 et 495.
9- Ibid., p. 492 et X, p. 6, 24 et 43.
10- Ibid., X, p. 31-33.
11- Ibid., X, p. 81-82.
12- Marcel Roux, avec la collaboration d'Edmond Pognon, Bibliothèque nationale, département des Estampes, Inventaire du fonds français, graveurs du XVIIIe siècle, t. VIII, Paris, Bibliothèque nationale, 1955, p. 96, n° 1.
13- Rome, Bibliothèque apostolique vaticane, Ottoboniano latino 3118, f° 141.
14- Perdu, tout comme l’esquisse signalée dans une vente aux enchères anonyme à Paris le 6 avril 1784 sous le n° 31 : « L’esquisse du Sacrifice d’Isaac, tableau exécuté en grand pour l’église de Sainte Croix, à Lyon. Hauteur 16 pouces, largeur 11 p. 3 lig. T. »
15- Huile sur toile ; H. 0,402 ; L. 0,635 m ; vente Paris, Hôtel Drouot, Beaussant-Lefèvre, 10 avril 2002, n° 75 ; Paris, galerie Claude Vittet ; localisation actuelle inconnue. Il s’agit probablement du tableau vendu 60 livres à Paris le 6 avril 1773, n° 11 avec « une autre vûe de Rome » puis vendu 225 livres à Paris le 4 avril 1777, n° 33 : « Deux Vuës de rome; dans l'une on distingue l'Arc de Septime Severe; & dans l'autre les trois Colonnes. Ces deux tableaux sont clairs, transparents, d'une touche légere, & d'une couleur vraie. »
16- Huile sur toile ; H. 0,510 ; L. 0,672 m ; Lyon, galerie Michel Descours en 2015 ; localisation actuelle inconnue.
17- Huile sur toile ; H. 0,530 ; 0,745 m ; Varsovie, Palais Lazienki, inv. Lkr 839.
18- Vente Paris, 29 décembre 1766, n° 66, acquis par l’abbé Renouard.
19- Vente Versailles, 13 janvier 1772, n° 42.