next prev

La marquise de Grollier; née Charlotte Eustache Sophie de Fuligny Damas (Paris 1741 - Épinay-sur-Seine 1828)

(Paris, 1741 - Épinay-sur-Seine, 1828)

Pêches et panier de raisins, des oiseaux et une tasse

Huile sur toile, 50 × 62 cm  

  • PROVENANCE
  • BIBLIOGRAPHIE
  • EXPOSITIONS
  • DESCRIPTION

PROVENANCE


Collection de la marquise de Grollier, légué à sa mort à sa fille, Alexandrine Claudine de Grollier (1763-1849), épouse en 1781 Benoît Maurice François, marquis de Sales (1760-1797) ; à leur fille Pauline Françoise Joséphine de Sales (1786-1852), baronne de Roussy ; à son fils, Eugène François Félix Joseph de Roussy de Sales (1822-1915), château de Thorens, à Thorens-Glières (Haute-Savoie) ; à son fils, le comte François-Maurice de Roussy de Sales (1897-1945), même château ; à son fils le comte Jean-François Roussy de Sales (1927-1999), même château ; collection de ses héritiers de 1999 à 2021.
 

BIBLIOGRAPHIE


Véronique Damian,  L’art au féminin. Portrait de la marquise de Grollier (1741 – 1828) par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755 – 1842), Paris, galerie Canesso, 13 septembre – 19 octobre 2018, p. 14, fig. 10.
 

DESCRIPTION


Signé et daté à gauche : « Mrqse de Grollier, Élève de Van Spaendonck, / 1781.»

L’exposition que nous avions organisée à la galerie Canesso en 2018 a été l’occasion de découvrir quelques-unes des natures mortes de la marquise de Grollier dont ces Pêches et panier de raisins, des oiseaux et une tasse. Elle montre ici, non seulement la maîtrise de la peinture de fleurs pour laquelle elle était admirée, mais aussi celle des fruits et d’objets décoratifs comme la tasse en verre bordée d’or, sans oublier le détail pittoresque du rouge-gorge apportant un épi de blé à son oisillon. Les gouttes d’eau éparses sur les motifs accentuent l’effet mimétique de cette composition qui exalte l’amour de la marquise de Grollier pour la nature en général et pas uniquement les fleurs qu’elle cultivait elle-même avec bonheur. Elle prend soin de mentionner dans sa signature qu’elle a été l’élève du Flamand Gerard Van Spaendonck (1746-1822), artiste qui s’est formé à Anvers chez un peintre de fleurs et qui obtiendra au Jardin royal (futur Museum) la charge de peintre du roi pour la miniature qu’il commence à exercer à partir de 1780. Sans doute, la marquise de Grollier fréquente-t-elle ses cours dès cette date.

Au XVIIIe siècle de nombreuses femmes exerçaient la nature morte avec talent et Faré, le spécialiste de ce genre en France, note que « la marquise de Grollier s’efforça de rivaliser avec Anne Vallayer-Coster » (1744-1818), une autre brillante représentante dans ce domaine.
Le corpus de notre artiste, tout juste redécouverte, est rare et encore peu connu aujourd’hui. Il comprend un tableau dans les collections du Lacma à Los Angeles, un tableau qu’elle a offert à la Société nationale d’Horticulture à Paris et qui s’y trouve toujours1, un tableau reproduit par Faré dans son ouvrage sur la nature morte française au XVIIIe siècle2 et encore, les quatre tableaux réapparus et que nous avons exposés en 2018.

« Madame de Grollier peignait les fleurs avec une grande supériorité. Bien loin que son talent fût-ce qu’on appelle un talent d’amateur, beaucoup de ses tableaux pourraient être placés à côté de ceux de Van Spaendonck, dont elle était l’élève ; elle parlait peinture à merveille, comme elle parlait de tout du reste […] » (Élisabeth Vigée Lebrun, Souvenirs, 2 vols., Paris, 1835-1837). C’est ainsi qu’Élisabeth Vigée Le Brun présente sa talentueuse amie dans ses Souvenirs, après en avoir laissé un merveilleux portrait au chevalet (1788, collection particulière)3. Vigée le Brun a peint non seulement le portrait de la marquise de Grollier mais aussi celui de son compagnon, le Bailli de Crussol, (aujourd’hui New York, MET) ; la marquise et le bailli habitèrent, à partir de 1779 et jusqu’à la Révolution, le château des Tuileries, dans le proche entourage de la reine Marie-Antoinette. Il sera son compagnon d’exil au moment de la Révolution qui les amènera jusqu’à Florence et, à leur retour, il partagera sa vie jusqu’à sa mort, en 1815, dans leur maison d’Epinay sur Seine.
Alors qu’elle habitait à Florence, son atelier était devenu « le rendez-vous des artistes célèbres » : « Canova fut son ami : il avait surnommé madame de Grollier le Raphaël des fleurs »4. C’est encore dans la capitale toscane que le peintre originaire de Montpellier, François-Xavier Fabre (1766-1837) exécute le portrait en buste de la marquise (collection particulière). Pour reconstituer son corpus, il faudra se pencher aussi sur ses années d’exil italiennes.

Outre la peinture, Charlotte Eustache Sophie de Fuligny Damas, marquise de Grollier, avait des talents de créatrice de jardin hérités de sa mère. Elle n’en imaginera pas moins de trois, ceux de ses propriétés successives : celui du château de Pont d’Ain, château de son mari, Pierre Louis de Grollier (1730-1793), lui-même passionné de minéralogie, où elle habite au début de son mariage, puis celui de son domaine de Vaucluse à Lainville en Vexin, près de Meulan (78) et enfin, à son retour d’exil de Florence, celui de son château d’Epinay sur Seine (aujourd’hui, selon toute probabilité, l’Hôtel de ville,). Rien ne subsiste de ces beaux ouvrages que seuls les archives pourront faire revivre.
La marquise de Grollier était donc une femme exceptionnelle, une artiste aux multiples facettes et de plus, une personnalité philanthrope qui agissait pour le bien commun. Elle ne reculait devant aucune amélioration, aucun progrès en faisant creuser notamment un puits artésien dans son dernier jardin pour donner de l’eau potable aux habitants d’Épinay, en s’appuyant sur les meilleurs ingénieurs de l’époque. Elle a su par ailleurs aider son prochain, en faisant des donations ciblées, pour le bien des pauvres et des handicapés (en particulier des aveugles) de sa commune. En effet, dans sa vieillesse elle a peu à peu perdu la vue et était très sensibilisée par ce handicap5.



Notes :
1-Véronique Damian,  L’art au féminin. Portrait de la marquise de Grollier (1741 – 1828) par Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755 – 1842), Paris, galerie Canesso, 13 septembre – 19 octobre 2018, p. 6, fig. 3 ; p. 11, fig. 8.
2- Michel et Fabrice Faré, La Vie silencieuse en France. La nature morte au XVIIIe siècle, Fribourg, 1976, p. 214-216, fig. 328.
3- Ibid. note 1, 2018, p. 2-3.
4-Étienne Soulange Bodin, « Notice sur Madame la marquise de Grollier », Annales de la Société d’horticulture de Paris, décembre 1828, p. 1-7.
5-Ibid., 1828, p. 1-7.